Bienvenue, Grand frère : 02
Chapitre 2
Un
rayon de soleil traversa avec quelques difficultés la fenêtre voulant illuminer
un peu la pièce. Un sac fut éjecté sur un lit d’une seule personne se trouvant
collé au mur dont la tapisserie fit sourire un peu tristement le nouvel
arrivant. Il frôla le mur d’un geste nostalgique. Il l’avait choisi avec sa
mère lors d’une grande sortie familiale quinze ans auparavant. À l’époque, il
aimait déjà les motos, les grosses cylindrées.
Son
regard fit le tour du reste de la pièce, pas très grande d’ailleurs. Vers sa
gauche se trouvait le vieux bureau, rempli de griffonnages au marqueur. Sur
l’autre mur, une armoire d’où on se demandait comment elle faisait encore pour
tenir debout dominait le reste de la pièce. Sous la fenêtre, une bibliothèque faite
à la main et avec les moyens du bord s’y trouvait. Gaku Inamura soupira et se
laissa tomber lourdement sur un coin du lit, dont la couette bleue avait vu de
meilleurs jours.
Son
regard se posa sur une tache de brûlure. Il la toucha du doigt. Il s’en
souvenait de celle-ci. Il l’avait brûlé sans le vouloir, alors qu’il fumait et
que cet imbécile d’Ayato lui avait fait peur. NON ! Il s’était promis que
si jamais il revenait ici, dans cette ville, il éviterait de repenser à son
vieil ami. Mais les souvenirs étaient là depuis toutes ses années. Quand le
drame avait eu lieu, il avait maudit à jamais son père. Celui-ci lui avait
refusé d’aller faire ses adieux à son ami d’enfance. Pourquoi personne
n’avait-il remarqué cette soudaine fascination pour la mort ?
Il
avait bien essayé de prévenir les parents d’Ayato, mais personne ne l’avait
cru. Personne n’avait voulu l’entendre. Ensuite, ces abrutis l’avaient presque
accusé d’en être le responsable. Il avait hurlé toutes les horreurs dont il
pouvait. Ce soir-là, son père l’avait lacéré à coup de ceinture, une bonne
partie de la soirée. Seule sa mère avait tenté de l’aider, tout comme elle
avait essayé d’aider Ayato, mais il était déjà trop tard pour son ami. Si les
parents de son ami ne s’étaient pas déchirés devant leur propre fils et s’ils
ne le tenaient pas pour responsable de leur échec, jamais il n’aurait eu de
mauvaise fréquentation, jamais il n’aurait intégré cette secte. Et encore
aujourd’hui, il serait en vie, surement marié avec des enfants.
Gaku
se frotta le visage de rage. Mince ! Il souffla un bon coup. Il aurait
bien besoin d’un bon coup sur la tête. À cette pensée, il eut un sourire.
Maso ! Il était réellement devenu maso à vouloir être frappé. Mouais, frapper,
mais par une seule personne, mais celle-ci devait être parti à l’heure
actuelle. Il se sentait triste. Son chat sauvage lui manquait beaucoup. Quelle
tristesse !
Une
ombre le fit sursauter. Il leva les yeux vers la porte et aperçut sa plus jeune
des sœurs. Mairu devait avoir douze ans maintenant. Il se souvenait d’elle
comme une jolie petite poupée, mais maintenant bien qu’elle était toujours
aussi mignonne, elle avait plutôt une attitude de garçon manqué, avec ses
cheveux noirs coupés à la garçonne. Elle penchait la tête l’observant, les
mains dans les poches de son jean tout aussi troué que le sien.
Apercevant
un léger sourire sur le visage de son frère, Mairu se sentit rassurer et
pénétra plus avant dans la chambre. Un lieu où d’ordinaire, elle n’avait jamais
eu le droit d’entrée. Elle jeta un coup d’œil rapide autour d’elle. C’était
bien la chambre d’un adolescent, pas celle d’un adulte. Elle grimaça. Gaku émit
un petit rire.
- J’ai un peu honte des goûts que j’avais plus jeunes.
- Okaa san nous a dit que tu n’avais pas le droit
d’avoir des meubles neufs. Je crois bien qu’Otou san était un bel égoïste.
Gaku
cligna des yeux. À l’époque, si par malheur, il parlait de son père de cette
façon, il aurait pris une belle raclée. Rien que de l’imaginé, il se souvenait
de l’effet. Finalement, les coups du chat sauvage étaient bien plus doux. La
jeune fille piétinait et se mordait la lèvre. Le jeune homme se leva et
s’agenouilla face à sa petite sœur. Il lui prit une main dans la sienne.
- Tu peux me dire tout, Mairu. Je ne me mettrais
jamais en colère, tu sais.
La
jeune fille le prit par surprise en se glissant entre ses bras. Elle
chuchota :
- Je suis contente que tu aies accepté de revenir
à la maison. J’aime trop voir Okaa san sourire pour rien. Elle est trop belle
ainsi.
- Je regrette de n’être pas revenu de moi-même.
Un
bruit de course s’entendit et Megumi fit son apparition. Elle secoua la tête,
exaspérée. Elle s’exclama :
- Maiiiiruuuuu ! Tu devais dire à Onii san
de venir dîner. T’es lourde !
Mairu
souffla et s’écarta de son frère. Elle tourna son regard vers sa sœur, sans
pour autant quitter les bras de Gaku. Celui-ci se demandait un peu s’il s’en
sortirait avec toutes ses filles. Il se demandait si son cœur allait tenir le
choc.
- Bah ! Au moins, tu fais du sport ainsi,
Meg. Je trouvais que tu étais un peu
trop grosse ces derniers temps.
- Aaaaaaaaaaah ! Lança Megumi, avant de se
jeter sur sa sœur pour l’étrangler.
Bien
évidemment, Gaku reçut son autre sœur dessus. Il grimaça.
- Eh ! Vous allez vous calmer. Si vous
continuez, je vais prendre la poudre d’escampette.
En
réponse, ces deux sœurs stoppèrent nette et elles s’exclamèrent synchro :
- Jamais de la vie !
Lymle
mettait la table avec Kotoro quand elle entendit la cavalcade arriver. Elle
jeta un coup d’œil vers sa mère. Celle-ci n’arrêtait pas d’afficher un sourire
heureux. Kotoro lui fit un clin d’œil amusé. Megumi et Mairu finirent par faire
leur apparition se chamaillant comme à leur habitude.
- Allez vous laver les mains ! Et au
galop ! Lança Lymle.
- Ouais, ouais, Obaa san ! S’écria Megumi, en
pouffant avec sa sœur et en s’enfuyant avant de subir la colère de sa sœur.
Gaku,
faisant son apparition, parvint à éviter de justesse une cuillère jetée par
Lymle. Il se mit à rire. Il avait très bien entendu sa jeune sœur. Il
s’approcha de la plus âgée qui se mordait les doigts de honte. Mon Dieu !
Elle avait failli assommer son frère avec une cuillère.
- On dirait bien que ce surnom te poursuit,
Lymle.
- Mais, je ne ressemble pas à une grand-mère.
Inoue
arriva enfin avec les plats. Elle les déposa sur la table, toujours affichant
son sourire.
- Allons les enfants ! À table !
Gaku
s’installa près de sa sœur Kotoro. En l’observant du coin de l’œil, il remarqua
qu’elle n’avait pas beaucoup changé. Elle ressemblait toujours à un joli
bouquet de fleurs. Elle portait la même odeur de Lys du jardin. Elle avait
également un petit côté gauche. Kotoro était une jeune fille timide et très
douce depuis toute petite. Elle aimait porter des robes longues de couleurs
claires et laissait libres ses longs cheveux noirs lui arrivant au bas du dos.
La jeune fille amena gracieusement une mèche derrière son oreille. Elle aperçut
alors le regard de son frère. Elle se mit à rougir le faisant sourire.
Il ne
se sentait pas très bien. Il était content, même heureux d’être de retour
auprès de sa famille. Il n’avait pas imaginé à quel point ses sœurs lui avaient
autant manqué. Mais, il ne savait pas trop comment agir. Pendant le repas, il
préféra les écouter discuter, ne parlant que quand on lui adressait la parole. Les
filles semblaient très proches l’une de l’autre et s’entraidaient également.
Après
le repas, Inoue donna des ordres à chacune de ses filles afin qu’elle laisse
tranquille leur frère. Inoue n’était pas stupide. Elle voyait bien que son fils
était perturbé. Il avait perdu l’habitude d’être avec autant de monde, d’être
avec sa famille. Il lui faudrait du temps pour s’habituer. Pendant toutes ses
années, elle avait imaginé le pire. Mais, il semblait avoir réussi à s’en
sortir, même si la vie n’avait pas dû être aussi facile pour lui. Comment avait
été sa vie après son départ ? Comment s’en était-il sorti ? Elle
avait toujours eu peur qu’il fasse la même bêtise qu’Ayato, mais en le voyant
maintenant, en si bonne forme, elle se disait qu’elle avait été bien stupide de
le penser.
Son
fils avait plus de caractère que ce jeune garçon trop fragile qu’avait été
Ayato Morita. Comment réagirait-il devant Shuei ? Un an après le décès de
leur fils, Kahori Morita eut un autre enfant, un petit garçon. Elle n’avait pas
supporté la mort de son fils et elle avait tout fait pour le remplacer. Elle
partait en dépression et sa famille n’essaya même pas de l’aider. Elle subit
fausse couche sur fausse couche, jusqu’au jour où Shuei vint au monde. Ce petit
garçon fit sensation en grandissant. Non seulement il se révélait être très
mignon, mais il avait hérité des yeux vairons de son arrière grand-père
maternel. Son œil gauche était marron clair et l’autre bleu ciel. Mais en plus,
sa chevelure ne se révéla pas noire comme celle de ses parents, mais hérita
d’une couleur atypique d’un gris pâle qui lui causa beaucoup de problèmes à
l’école et chez lui aussi avec son père.
Gaku
soupira de soulagement quand il remarqua le manège de sa mère. Il la remercia
silencieusement. Il songea qu’il serait peut-être temps de ranger ses affaires.
Il monta à l’étage et rejoignit sa chambre. En passant devant celle de sa
mère, il ralentit légèrement. La porte était un peu entre ouverte. Son regard
se noircissait à vue d’œil. Comment sa mère pouvait encore dormir dans cette
pièce où son père lui avait fait temps de mal ? Il poussa le battant et
eut une véritable surprise.
La
chambre n’était plus du tout comme celle qu’il avait connue. Elle ressemblait
plus à celle d’une femme avec ses tons plus claire et lumineuse. Il se
souvenait d’une chambre sans âme et froide, mais maintenant, une douce chaleur
dominait la pièce. C’était très agréable.
- Quand Otou san est tombé gravement malade. Okaa
san n’a pas cherché. Elle l’a mis dans un hôpital et allait lui rendre visite
de temps en temps.
Gaku
sursauta comme pris en faute. Il se retourna pour se retrouver devant Lymle. Sa
sœur pourrait être une très jolie femme si seulement, elle arrêtait de mettre
des habits qui la vieillissaient et l’enlaidissaient. Bien maintenant qu’il
était là, il allait se charger de la transformer pour en faire une jolie lady
et non plus une grand-mère.
- Quand est-ce qu’il est tombé malade ?
- Deux mois après ton départ. Mon Dieu ! En
pleine forme, il était épouvantable, mais malade, il était encore pire. Okaa
san en a eu assez et l’a viré dans l’hôpital du coin. Ça a été un soulagement
pour tout le monde. Alors, pour son anniversaire, nous avons transformé sa
chambre.
Le
jeune homme regarda une dernière fois la pièce avant de refermer la porte. Il
caressa la joue de sa sœur. Celle-ci leva les yeux vers son frère. Comme il lui
avait manqué ! Elle sentit des larmes poindre au coin des yeux. Enfant,
elle l’avait toujours suivi partout. Même quand il était avec ses propres amis,
il l’accueillait toujours avec plaisir. Si par malheur, un de ses amis râlait,
il se faisait remettre en place par Gaku ou par Ayato. Elle s’en voulait
également depuis sept ans. Elle se sentait responsable de sa disparition.
- Allez ! Viens m’aider !
S’exclama-t-il au bout d’un moment, en prenant la main de sa sœur dans la
sienne.
Gaku
gagna sa chambre d’adolescent. Il grimaça encore une fois. Il se laissa tomber
sur le lit avec lassitude. Sa sœur se mit à rire et s’exclama :
- Tu es toujours aussi flegmatique, Gaku.
- Je n’y peux rien, je dois être né ainsi.
- Bon, j’ai compris, je me charge de ranger tes
affaires.
Lymle
secoua la tête, amusée. Mais, faire le rangement ne la dérangeait pas trop. Elle
arrivait presque à la fin du sac quand elle tomba sur une photo. Elle l’observa
un long moment avant de la prendre entre ses doigts. Elle jeta un coup d’œil
vers son frère, espiègle. Celui-ci remarqua la photo et rougit aussitôt, mal à
l’aise. Il l’avait complètement oublié. Elle représentait un jeune garçon de dix-sept
ans, installé nonchalamment sur la rembarre d’un pont. Il regardait dans le
vague, les cheveux noirs bleutés très long nattés volant légèrement dans le
vent. C’était une très belle photo et étant donné les rougeurs de son frère,
cette personne avait une certaine importance.
- Il est très beau ce garçon. Un ami à toi ?
Demanda-t-elle innocemment.
Gaku
se sentit un peu mal.
- On peut dire ça, finit-il par dire, pour couper
court. Mais c’était sans compter sur la curiosité de Lymle, assez légendaire
d’ailleurs.
- Onii san étant donné les rougeurs sur tes
joues, je dirais qu’il est bien plus qu’un ami.
- Ah ! Euh!... Pfft ! Non, c’est un
ami, même s’il a été un peu plus. Mais, il reste juste un ami maintenant.
Lymle
se mordit la lèvre. Sa curiosité la perdra un de ces jours.
- Je suis désolée. Je n’aurais pas dû te poser
cette question.
- Pourquoi ? Tu as le droit d’en poser, même
si elles peuvent être un peu gênantes parfois. Je suis sorti avec lui pendant
plus de trois ans, mais j’ai toujours su qu’un jour ça finirait.
Lymle
poussa le sac et s’installa près de son frère. Elle posa sa tête sur son
épaule, tout en observant la photo.
- Il a l’air triste et en même temps colérique.
Gaku
se passa une main dans ses cheveux. Il eut un sourire un peu triste.
- Sa vie n’a pas été facile. Même si sa famille
l’aime beaucoup et le soutient, il n’arrive pas à défaire que, c’est aussi un
membre de sa famille, qui a failli le détruire. Mais, il ne faut pas s’en
faire. C’est un battant, un vrai chat sauvage. Il est plus jeune que moi et
pourtant, c’est grâce à lui et à un autre, si je n’ai pas sombré dans la
déchéance.
Lymle
porta un doigt à sa bouche comme pour réfléchir. Puis, elle se leva. Gaku,
surpris, la regarda quitter la pièce en courant. Qu’est qui lui prenait ?
Elle revint quelques minutes après avec un cadre. Elle le tendit à son frère.
- Cette photo sera bien plus protégée ainsi. Et
si un jour, tu baisses les bras, tu n’auras qu’à la regarder pour retrouver ta
pêche.
Gaku
regarda la photo un long moment interdite avant de s’esclaffer. Il attrapa le
bras de sa sœur et lui donna un tendre baiser sur la joue.
- Merci !
La
jeune fille rougit et se tordit les doigts, toute intimidée d’un seul coup.
Elle finit par demander.
- Il a un nom, je suppose, ce chat sauvage ?
- Évidemment, il s’appelle Sawako Sanada.
- Ce n’est pas un prénom pour fille,
Sawako ?
- Peut-être bien, mais il lui va comme un gant.
- Est-ce qu’un jour, tu me raconteras comment était
ta vie depuis ton départ ?
- Avec toi, ce sera avec un grand plaisir.
La
jeune fille esquissa un grand sourire de plaisir. Gaku regarda autour de lui et
finit par déposer le cadre sur la table de nuit. Si un jour, Sawa apprenait
qu’il avait fait une photo de lui sans sa permission, il risquait fort de s’en
prendre une comme d’habitude. Il s’étira avant de se lever. Il agrippa le cou
de sa sœur et s’exclama :
- Bon il va falloir me mettre à jour.
- Euh ! Comme quoi ?
- Et bien, est-ce que l’une d’entre vous a un
petit ami ?