La rencontre avec Gaku : 52
Le
parc où l’ami de Sawako les attendait se trouvait à une demi-heure de route en
prenant le métro. Grâce au soleil bien haut et de chaleur, les promeneurs se
laissaient à la détente avec leurs enfants. Shin observait ce monde avec un
léger sourire. Son compagnon, juste devant lui, n’arrêtait pas de ronchonner
depuis leur descente du métro.
Il
avait quand même un sacré toupet ! Il l’accusait d’être responsable de
leur retard. Comme s’il lui avait demandé de le rejoindre sous la douche ?
Il l’avait pourtant mis en garde, mais non, le garçon n’avait pas écouté et
maintenant, il avait un quart d’heure de retard. Personnellement, Shin s’en
fichait un peu. Il n’était pas vraiment pressé de rencontrer l’ex-petit ami de
son chaton. Évidemment, il ne pouvait pas se permettre de lui dire à cause de
Lina. Sawako devait la tolérer dans la vie de son homme. Pourtant, le garçon
était plutôt jaloux de Ludwig que de Lina. Ce n’était à rien comprendre et trop
drôle également.
Dans
un coin plutôt en retrait, Gaku attendait depuis plus de vingt minutes, appuyé
contre le tronc d’un vieux saule pleureur. Il regarda sa montre pour la
quatrième fois. Le chat sauvage n’avait pas changé ses habitudes. Il n’était
jamais à l’heure. Ce garçon aimait se faire désirer comme toujours. Il laissa
son regard s’évader vers le ciel d’un bleu limpide.
Il
ressassa les sept mois passés. Depuis son désir de retourner auprès de sa
famille, tout s’était accéléré. Il avait offert à Sawako de le suivre. Même
s’il savait bien que ses sentiments n’étaient pas vraiment réciproques, il
avait quand même espéré qu’il l’accompagnerait au moins un temps. Mais non,
Sawako avait préféré prendre son envol dans un autre pays, très loin de lui et
de sa famille. Peut-être était-ce mieux ainsi ? D’après les cartes reçues,
il avait compris que le garçon avait trouvé sa place. Il s’était fait d’innombrables
amis et c’était trouvé quelqu’un avec qui partageait sa vie et ses souffrances.
Jamais,
il ne renierait la relation qu’il avait eue avec le chat sauvage. À l’époque,
il sortait Kaoku, un homme un peu violent et colérique. Il avait grandi dans la
violence des coups de son père et même s’il avait fini par fuir, il
reproduisait la même chose dans sa propre vie. Un soir, dans une soirée
organisée par un pote, il avait croisé Sawako. Il était tombé sous le charme du
regard sauvage et hargneux. Son compagnon avait tenté sa chance et s’était fait
jeter sans douceur. Cela l’avait mis en rage et il avait voulu frapper le
garçon plus petit, plus mince et plus jeune également.
Tout
le monde avait craint pour la vie de ce garçon connaissant la réputation de
Kaoku. Pourtant, celui qui fut rétamé sur le sol le nez cassé n’était pas celui
qu’on croyait. Il n’en était pas revenu. Kaoku battu par ce gamin de quinze
ans, c’était quelque chose de nouveau et envoutant aussi. La semaine suivante,
il avait revu le garçon dans une autre soirée. Kaoku avait disparu de la
circulation. Personne ne savait où il était. Mais une rumeur disait que la
famille du chat sauvage, surnom donné à ce garçon mystérieux, surveillait en
secret les arrières. Gaku avait tenté sa chance. Il y avait été tout en
finesse, mais il fut encore plus perturbé par la franchise du garçon.
- Au lieu de tourner autour du pot, dis
plutôt que tu veux coucher avec moi. Ça ira plus vite !
- Je voulais peut-être juste te parler.
- Mais bien sûr ! Parce que tous les
mecs qui me tournent autour veulent me faire la causette ? Ou plutôt
s’occuper de mes fesses ? À ton avis ?
Puis
sans raison, ils avaient continué à discuter jusqu’à tard la nuit et ne s’étaient
plus quittés ensuite. Gaku avait repéré assez vite celui qui avait fait fuir
Kaoku. Tout le monde dans la rue connaissait Hisao Sanada, surnommé la bête étant
plus jeune. L’homme ne cherchait pas à lui faire peur ou à l’effrayer, il
surveillait juste son neveu du coin de l’œil, au cas où ! À force, cela
avait mis la puce à l’oreille de Gaku. Le chat sauvage n’avait pas dû avoir une
vie facile. Il était aussi très colérique et violent parfois. Il le cherchait
aussi. Il faisait son possible pour le mettre en rage et il y parvenait
aisément.
Gaku
se souvenait très bien la fois où Sawako l’avait mis dans une telle rage qu’il
l’avait battu et ce ne fut pas la seule fois jusqu’au jour, où le garçon
lui-même s’était rebellé. Gaku songea que c’était la période où le garçon
commençait à se reformer, à sortir de sa léthargie. D’ailleurs, il avait
vraiment eu peur de ne plus revoir, mais Sawako était revenu plus serein,
malgré la colère toujours enfouie au fond des yeux.
Gaku
devait bien reconnaitre maintenant que la présence de Sawako l’avait beaucoup
aidé également. Il avait enfin regardé sa propre vie en face. Il avait constaté
les dégâts et avait fait en sorte de la changer en mieux. Il avait repris
contact avec sa mère et ses sœurs. Celles-ci furent heureuses d’entendre à
nouveau sa voix. Elles le supplièrent de revenir auprès d’eux. Il avait
tergiversé pendant longtemps, puis finalement il avait compris que ce serait
mieux ainsi.
Au
début, reprendre une vie sociale normale lui avait semblé étrange et effrayant
aussi, mais le soutien de sa mère et de ses sœurs l’avait beaucoup aidé. Sawako
lui avait aussi beaucoup manqué. Le garçon avait pris beaucoup de place dans sa
vie et ne plus le voir régulièrement lui fit comprendre qu’il subissait le
symptôme du chagrin d’amour. Puis, un jour, pendant l’heure du repas du midi,
un nouveau client était arrivé au restaurant. Il s’appelait Terrence. Il était
à moitié japonais et à moitié anglais de père. Il travaillait comme journaliste
pour le journal local. C’était un homme calme et tranquille. Il était veuf
depuis cinq ans alors qu’il avait tout juste trente ans. Sa femme était morte
en couche le laissant élevé leur fille, tout seul.
Gaku
tomba sous le charme évidemment. Ses sœurs, surtout la cadette, l’avaient
remarqué et elle ne s’était pas gênée pour se moquer de lui à longueur de
temps. Surtout parce qu’il était toujours très gauche face à cet homme. Il se
trouvait stupide d’être dans tous ses états quand il se trouvait face à lui.
Enfin, la bonne nouvelle dans l’histoire, c’était qu’il était devenu le
chouchou de Kimi, la fille Terrence et même si sa relation avec le père ne
semblait pas évoluer beaucoup, il savait ne pas le laisser indifférent. C’était
déjà ça, non ?
Gaku
s’apprêtait à regarder à nouveau sa montre quand son regard fut attiré par deux
hommes. Il s’attarda sur le plus jeune. La démarche souple et féline, il la
reconnaitrait entre mille. Le chat sauvage daignait enfin faire son apparition
et il semblait en pleine forme. Gaku sourit. Pour ne pas changer une autre
habitude, le garçon semblait en colère ou du moins râleur. N’empêche qu’en sept
mois d’absence, Sawako avait muri. Il ressemblait plus à un adulte qu’à un
adolescent. Peut-être est-ce dû à sa nouvelle coupe de cheveux ? Gaku
regrettait un peu la tresse. Il l’aimait bien.
Gaku
jeta un coup d’œil vers l’homme, un peu en retrait. Il cligna des yeux et se
mordit la lèvre. Il devait bien reconnaitre que le chat sauvage savait
s’entourer. Cet homme était une sacrée bête, également, et tout aussi sauvage
que le plus jeune. Il ne faisait vraiment pas le poids face à cet homme. Il
sursauta en entendant la voix cassée.
- N’y pense même pas en rêve !
- Pardon ?
- Ma parole, es-tu devenu sourd ?
Arrête de mater mon homme comme tu le fais !
Gaku
fixa son ex-petit ami avec un air halluciné. C’était nouveau ! Le chat
sauvage était un jaloux maladif. Sacrée nouveauté !
- J’ai des yeux pour regarder donc je
regarde ! Et puis, c’est quoi l’excuse pour ton retard ?
- C’est la faute à Shin, pas la mienne,
s’exclama Sawako, avec mauvaise foi.
- Bin voyons ! Aux dernières
nouvelles, ce n’est pas moi qui t’ai rejoint sous la douche !
Sawako
fronça les sourcils et jeta un regard noir à son compagnon. Celui-ci haussa les
épaules, amusé avant de se tourner vers le japonais qui les écoutait
attentivement. Il ne savait pas trop comment agir face à cet homme. Il décida
d’agir comme il le faisait avec ses amis.
- Alors, c’est toi le fameux Gaku ?
Le
japonais se tourna vers le français avec appréhension ; pas facile quand
même de se retrouver avec le nouveau petit ami d’un ex.
- Euh ! Oui, c’est bien moi.
- Je rêve ! S’écria Sawako, d’un
coup. Ne me dis pas que tu flippes devant Shin, Gaku ? Où il est passé le
caïd du quartier ?
- Chaton ? Ne te moque pas de ton
ami.
Ledit
chaton renifla nullement attendri.
- Je dis ce que je veux comme toujours.
Shin
pinça le nez de Sawa et le menaça du doigt. Il déclara :
- Je vais vous laisser discuter.
- Hein ? Tu vas où ?
- Pas loin, chaton. Je vais juste
m’asseoir sur le banc un peu plus loin pour vous laisser discuter sans gêner.
Sawako
fit la moue. Sans faire cas des gens alentour, Shin se pencha et déposa un
baiser sur les lèvres pincées, avec un petit rire. Puis, il fit un signe vers
Gaku avant de s’éloigner. Sawako ne dit rien pendant tout le temps où il suivit
son compagnon s’installer sur un banc à quelques mètres d’eux.
- Cela te dérange d’être seul avec moi,
Sawa ?
Sawako
se retourna vers son ami depuis quelques années. Gaku n’avait pas changé en
sept mois. Il avait toujours le même look, son éternel jean, santiag. Seuls ses
cheveux teint en blond avait poussé et un nouveau tatouage faisait son beau sur
la main droite, un papillon.
- Non, cela ne me dérange pas. Mais, je
n’aime pas voir Shin s’éloigner.
- Pourquoi ? Serais-tu devenu un
jaloux excessif ?
Sawako
s’installa sur le banc près d’eux en s’asseyant sur le dossier. Il se mordait
les lèvres. Gaku remarqua à quel point son ami était devenu expressif.
- Tu as bien changé, Sawa. En bien, je
veux dire. Je l’avais bien remarqué dans tes lettres, mais c’est encore mieux
de le voir en vrai. Ah ! Par contre, j’étais très triste.
Sawako
leva un sourcil interrogateur.
- Pourquoi ?
- Tu as oublié les photos de nus.
Sawako
sursauta et laissa échapper.
- Baka ! Comme si j’allais t’envoyer
ce genre de photo.
- Tu avais pourtant promis.
Froncement
de sourcil et les yeux marron pailletés de vert lancèrent des éclairs. Gaku
esquissa un sourire.
- Je n’ai rien promis du tout,
pervers !
- Ah ! Je ne m’en souviens pas.
Gaku
émit un rire et s’installa sur le banc également. Il jeta un coup d’œil en
direction du français. Il se gratta la tête, puis il s’exclama :
- Tu le laisses t’embrasser. Ce n’est pas
du jeu.
- Et alors ?
- Ah ! Tu peux être très cruel,
chaton !
La
réaction de Sawako se fit aussitôt. Gaku porta une main sur la tête pour la
frotter. Il avait oublié à quel point il ne retenait pas ses coups, le
bougre !
- Sawako ! Ça fait mal !
- Alors, évite de m’appeler ainsi !
- Mais euh ! Tu le laisses bien
t’appeler chaton.
Gaku
parvint à éviter un autre coup. Il se mit à rire de plus belle.
- Est-ce que tu le frappes aussi ?
Sawako
soupira et posa les coudes sur ses genoux. Son regard ne quittait pas la place
où se trouvait Shin. Gaku l’avait remarqué. Le chat sauvage avait fini par être
dompté par un autre chat sauvage. Étrange comme pouvait être le destin. Il
aperçut également les rougeurs sur les joues du garçon. C’était nouveau ça
aussi.
- Je ne peux pas. Chaque fois où il me
met en rogne, et il le fait exprès évidemment, il m’embrasse pour me calmer.
Mmmh ! Il s’amuse à me mettre en colère juste pour le plaisir de me calmer
de cette façon ensuite et je tombe toujours dans le panneau.
Sawako
s’agita et rougit à nouveau.
- Je suis désolé. Je ne devrais pas te
parler de ma vie privée.
Gaku
s’appuya contre le dossier et répondit :
- Tu n’as pas à être désolé, Sawa. Nous
avons décidé d’être amis, tu te rappelles ?
- Oui, mais….
- Il n’y a pas de, mais, Sawa. Les amis
se disent tous, non ? Je suis heureux pour toi. Je suis ravi de te trouver
épanoui. Je vais avoir la chance de connaitre le vrai Sawako.
Le
garçon se passa une main dans les cheveux. Il erra son regard autour de lui.
Des familles s’étaient réunies pour jouer aux ballons. Un enfant pleurait dans
les bras de sa mère. Plus loin, il voyait un groupe de jeune garçon de primaire
jouant au foot.
- Et toi, Gaku ? Comment trouves-tu
ta vie auprès de ta famille ?
Il
ne s’était pas attendu à être interrogé.
- Bien, enfin non, bien mieux que ce à
quoi je m’attendais. Mes sœurs sont adorables. J’avais oublié à quel point
c’est agréable de se chamailler avec elles, de les taquiner sur leurs petits copains
ou de se faire cajoler par sa mère. Pardon, je ne devrais pas te dire cela.
- Pourquoi ? Parce que je n’ai pas
connu ma mère ? Ce n’est pas grave. Je me suis voilé la face pendant des
années. Ma famille m’aime beaucoup et je les ai pourtant rejetés. J’essaie de
rattraper le temps perdu avec eux. Je vais même rencontrer ma mère
prochainement. Alors, tout va bien pour moi.
Sawako
s’interrompit un instant. Gaku jeta un regard où regardait le garçon. Il
sourit. Le français discutait avec deux femmes. Il jeta un coup d’œil vers son
ami et vit le regard sombre. Gaku sourit, amusé. Il aurait aimé connaitre le
Sawako de maintenant, mais il ne pourrait plus.
- C’est agréable de te voir aussi jaloux.
- Je ne suis pas jaloux.
- Oui, je vois ça !
Sawako
frappa. Gaku évita de justesse le coup.
- J’ai bien l’impression que ton ami fait
exprès de te mettre dans cet état.
- Pfft ! Ce n’est pas nouveau. Ça
l’amuse. Même à la maison, il fait exprès de faire des allusions douteuses avec
Ludwig.
- Ludwig ? Qui est-ce ?
- C’est un de ses meilleurs amis. Shin
adore le mettre en boule en draguant Rei, le compagnon de Ludwig. Et il est
tellement idiot, le Ludwig, qu’il tombe à chaque fois dans le panneau.
- Mmh ! Un peu comme toi.
- Bordel ! Ne me confonds pas avec
ce baka ! Alors où en es-tu dans tes relations avec ce
Terrence ?
Ce
fut à son tour de rougir comme un adolescent. Sawako le remarqua et se mit à
rire avant de reprendre son sérieux.
- Je sais que j’ai été très égoïste avec toi,
Gaku. Je savais que tu en pinçais sérieusement pour moi et j’en ai profité
avant de te larguer. Tu aurais dû me détester.
- Surement, mais l’inconvénient avec toi,
c’est que tu es irrésistible. On te pardonne facilement tes mauvais côtés. Pour
répondre à ta question, ma relation avec Terrence n’est pas aussi rapide
qu’elle l’a été avec toi. Mais en même temps, je ne veux pas précipiter les
choses, non plus.
- Mmh ! C’est raisonnable, mais fait
attention qu’une pouf ne te le pique pas entre temps.
- Pour cela, j’ai de la chance. Sa fille Kimi
m’adore et elle devient une vraie peste en présence d’autres femmes. Elle est
très jalouse.
- Haha ! Elle ne veut pas que
d’autres femmes s’approchent de son père, mais elle accepte que tu t’approches
de lui. Voilà une jeune fille intelligente !
- Oui, n’est-ce pas ? Elle a déjà
décidé que quand elle sera grande, elle m’épousera avec son père, donc c’est
tout vu !
Sawako
se redressa et s’étira. Il s’exclama :
- Bon, assez discuter en privé. Il faut
que j’aille faire la loi.
À
peine avait-il fini sa phrase que Sawako se dirigea vers le banc où se
trouvaient toujours Shin en grande discussion avec les deux femmes. Gaku le
suivit, amusé, mais plus lentement. Il aperçut aussitôt le regard séducteur des
femmes se poser sur le garçon, mais elles ne tardèrent pas à s’enfuir. Sawako
avait beau être un beau gosse, cela ne l’empêchait pas d’avoir une langue de
vipère.
- Ah ! Cruel chaton ! Pourquoi
as-tu été aussi désagréable avec elles ? S’exclama Shin, avec son sourire
en coin, un sourire que Sawako détestait, car il se moquait de lui ouvertement.
Le
garçon pinça les lèvres et ne répondit pas. Shin leva les yeux vers Gaku et lui
fit un clin d’œil. Un grognement se fit entendre faisant s’esclaffer le
français et Gaku n’était pas loin. Le garçon s’emporta.
- Vous avez fini de vous foutre de ma
poire, tous les deux !
Shin
se redressa et attrapa son chaton par le cou.
- Il n’est pas adorable quand il
grogne ? Demanda-t-il au japonais.
- Si, il prend la mouche facilement.
C’est tordant. C’est toujours agréable de hérisser un chaton !
Les
deux hommes eurent un sourire de connivence. Sawako s’écria :
- Vous me le paierez tous les deux !
Vous me le paierez !