L’arrivée au Japon : 50
Au
dernier étage d’un immense immeuble de la grande ville de Tokyo endormi, un
homme n’arrivait pas à trouver le repos. Il finit par se lever sans faire de
bruit afin de ne pas ennuyer son épouse. Il se passa une main lasse sur le
visage et s’étira. Il gagna la salle de bain et prit une douche rapide avant de
rejoindre la cuisine pour préparer du café. Il en avait grand besoin.
Tout
en observant les gouttes tombées dans la cafetière, il se mit à songer à son
manque de sommeil. Il en connaissait la raison. Il n’était pas stupide. Il
était excité comme un gosse qui attendait après le père Noël, malgré son âge.
Il ne l’avait pas vu depuis un peu plus de sept mois seulement, mais pour lui,
c’était une éternité. Depuis qu’il l’avait arraché aux mains de son ignoble
frère, il s’était attaché à ce garçon comme s’il était son fils. Il avait même
espéré pendant longtemps à parvenir à se faire accepter comme tel, mais il
avait échoué.
Le
garçon avait juste accepté de le considérer comme un grand frère et encore, pas
tout à fait. Où avait-il échoué ? Avait-il fauté quelque part ? Une
question qui le tenaillait depuis des années, mais il n’avait jamais su la
réponse. Son père avait été le voir en France en avril. Hisao aurait aimé
pouvoir y aller également, mais le travail l’en avait empêché. Sa petite sœur
Hanae lui avait raconté son séjour. Il avait beaucoup de mal à croire que de
parfaits étrangers avaient réussi là où il avait échoué. Pourtant, son propre
père le lui confirma.
Comment
était-ce possible ? Et pourquoi ? N’était-il pas bien ? Il s’en
voulait d’être si égoïste. Il avait également appris, toujours par Hanae, que
son neveu vivait avec un homme. Elle l’avait fait exprès de le lui dire, juste
pour l’énerver. Elle adorait l’ennuyer. Cette petite avait, elle aussi, une
langue de vipère, quand elle le voulait. Elle savait bien que cela le mettrait
dans tous ses états. Maintenant, il ne faisait que se posaient des questions
sur cet homme ? Était-il quelqu’un de bien ? Prenait-il soin de son
neveu ? Il avait assailli de questions sa sœur et la seule chose qu’elle
lui avait rétorquée, était qu’il le verrait quand Sawako viendrait en vacances.
Il
aurait voulu l’étrangler cette friponne. Il s’était tourné vers son père et
Toshio, mais il n’eut aucune réponse de leur part, juste qu’il verrait bien.
Pourquoi toutes ses cachoteries ? Ce n’était vraiment pas amusant du tout.
Et puis, depuis peu, il avait appris une autre nouvelle. Comment avait-il fait
pour ne pas s’en rendre compte ? Eiji, son meilleur ami, tournait autour
de sa petite sœur Hanae. Il était en état de choc. En fait, non, il devrait
dire l’envers. C’était plutôt Hanae qui tournait autour d’Eiji. Non pas que
cela le dérangeait beaucoup. Il ne voulait que le bonheur de son ami. Celui-ci
avait beaucoup souffert de son divorce, mais c’était surtout à cause de la
différence d’âge entre les deux. Eiji lui avait clairement dit qu’il ne voulait
pas faire le moindre mal à Hanae. Il n’avait pas cherché à tomber amoureux
d’une adolescente.
Hisao
avait eu pitié de son ami qui essayait de se justifier. Il n’en avait pas
besoin. Il était son meilleur ami. Il le connaissait par cœur. Eiji était un
homme bon et généreux, d’une patience d’ange. Hanae, malgré son caractère assez
capricieux, était une fille bien dans sa tête, plutôt intelligente, et pas
frivole du tout. Elle n’était la digne héritière des entreprises Sanada pour
rien. Il soupira.
Un
bruit de pas le fit se retourner et aperçut son petit garçon. Kazuaki avait
trois ans à peine et lui ressemblait déjà beaucoup. Mais il avait hérité du
sourire et du charme de sa mère. Il se frottait les yeux. Hisao secoua la tête
et vint s’agenouiller devant lui.
- Que fais-tu déjà debout,
chenapan ?
- Je n’arrive plus à dormir.
- Ah ! Mais si tu ne dors pas, tu
seras vite fatigué dans la journée.
Le
petit garçon se laissa aller dans les bras de son père et murmura :
- Si tu viens faire dodo avec moi, j’y
arriverais peut-être.
Hisao
émit un petit rire et souleva sans effort son garçon. Kazuaki était un peu
jaloux, ces derniers temps. Il n’allait plus avoir sa mère pour lui tout seul,
il devra la partager avec une petite sœur. Il avait un peu peur aussi.
Sera-t-il un grand frère exemplaire ? Hisao rejoignit la chambre de son
fils et s’allongea avec lui. il se mit à lui caresser les cheveux tout en lui
racontant une histoire. Le petit finit par bâiller, mais se retenant à grande
peine pour ne pas s’endormir, il demanda :
- Otou-san ?
- Oui, mon bébé.
- Onii-san arrive bien aujourd’hui,
hein ?
- Ah ! Je me disais bien aussi que
ton petit manque de sommeil devait être en rapport avec Sawako. Oui, il arrive
aujourd’hui.
- C’est toujours mon onii-san ?
- Plus que jamais.
Le
petit rasséréné, se moula un peu plus contre son père et s’endormit le sourire
aux lèvres, sous le regard attendri d’Hisao. Le lendemain, quand Emi se leva.
Elle se rendit directement dans la chambre de son fils comme elle le faisait
tous les jours. Elle esquissa un sourire en apercevant le joli tableau, le père
et le fils profondément endormi. Quand elle se rendit enfin dans la cuisine,
elle ne fut même pas le moins du monde surprise d’y trouver deux énergumènes
sagement installer à table buvant du café.
La
plupart des gens s’offusqueraient de voir des personnes entrées dans une maison
dont les habitants dormaient encore, mais Emi n’était pas n’importe qui et la
présence d’Eiji et Nao était tellement habituelle, qu’ils faisaient partie du
tableau familial.
- Coucou, Emi chou, s’exclama joyeusement
Eiji.
- Vous êtes bien matinale, vous deux.
Hiroshi n’est pas là ?
- Non, il devait se rendre au boulot. Il
a précisé qu’il devait donner exemple à ses élèves. Pfft ! Rétorqua Nao.
- Haha ! Voilà un travailleur, au
moins.
- Hé ! Tu insinues quoi là ?
S’offusqua Nao, en lui tirant la langue.
La
jeune femme se prépara un bon petit déjeuner et s’installa à table auprès des
amis de son mari.
- Alors, vous aussi, vous n’arriviez pas
à dormir, mes chatons ?
- Évidemment ! Comment veux-tu que
nous dormions quand notre chat sauvage vient nous rendre visite ?
S’exclama Eiji, aussi exciter que Hisao l’était quelques heures plus tôt. J’ai
eu un mal fou à le mettre à l’école. Il m’a fait un scandale de tous les
diables. Ahahhh ! J’ai trop hâte de le revoir ce môme.
Emi
hocha la tête, même si le fait d’appeler Sawako le môme la fit sourire. À
dix-neuf ans, Sawako n’était certes plus un enfant, mais elle pouvait bien
comprendre cette envie de le revoir. Elle en avait les symptômes.
Ces
hommes ne tenaient plus en place. Emi ne savait plus comment les gérer, de
vrais gosses. Les gens, aux alentours, souriaient de voir ces adultes se faire
houspiller par cette femme enceinte. Cela les réconfortait également à cause du
retard de la plupart des avions.
Mais
enfin, au bout d’une heure de retard, l’avion temps attendu arriva. Hisao
tenait le bras de sa femme à lui faire mal. Il se sentait vraiment stupide et
enfantin, mais il n’y pouvait rien. Les portes s’ouvrirent enfin et un flot continu
de passagers fit son apparition. L’homme fouilla du regard cette foule pour le
trouver. Hanae lui avait montré des photos. Il savait à quel point Sawako avait
changé physiquement surtout à cause de sa coupe de cheveux. Il l’avait trouvé
magnifique et resplendissant de santé, mais quand son regard finit par le
retrouver dans cette cohue, il mit un temps avant de comprendre que c’était
bien son neveu.
Pour
changer, il avait bien changé. Les photos ne respectaient pas la beauté féline
du garçon. Il fut d’autant plus surpris de le voir si souriant et joyeux. Le
visage n’était plus empreint de colère retenue, ni de violence et de tristesse.
Hisao avait bien du mal à détacher son regard de son neveu. Celui-ci les repéra
et se dirigea vers eux en tirant quelqu’un derrière lui. Hisao regarda alors
l’homme accompagnant son neveu. Il fut surpris tout d’abord. Hanae, Toshio ou son
père n’avaient pas voulu lui parler du petit ami de Sawako. Il devait avoir à
peu près le même âge. Est-ce pour cette raison qu’ils ne lui avaient pas parlé
de lui ? Avaient-ils eu peur qu’il soit choqué ? Il ne l’avait pas
été de beaucoup pour Eiji et Hanae. Sa plus grande surprise en fait était le sans-gêne
de son neveu. Celui-ci ne se gênait pas le moins du monde à montrer sa
préférence sexuelle. Ils avaient leurs doigts liés et tant pis si cela pouvait
choquer.
Sawako
s’arrêta à quelques pas de sa famille de telle façon que Shin faillit lui
rentrer dedans. Celui-ci leva les yeux au ciel. Son chaton faisait d’un coup
son timide. Shin jeta un rapide coup d’œil à toute la troupe face à eux. La
première chose qu’il se fit en apercevant les trois hommes fut la ressemblance
avec son amitié avec Nathaniel, Luka et Ludwig. Il pouvait bel et bien sentir
le même lien. Un petit bout de femme se tenait entre eux. Elle ressemblait un
peu à Eryna Oda, la mère de Carlin Oda. C’était assez étrange.
Emi
se sentit observer et leva les yeux vers ceux verts de l’étranger. Elle lui
adressa un sourire de bienvenue. Sawako alors, s’exclama de sa voix toujours
aussi cassée.
- Eh ! Arrête de faire les yeux doux
à ma tante.
- Chaton, je ne fais pas les yeux doux.
- Mais bien sûr comme si tu ne l’avais
pas fait aussi à ces trois hôtesses de l’air, s’exclama Sawa, pas jaloux pour
un sou.
Hisao
regarda son neveu se chamailler avec son compagnon. Il n’en revenait pas. Il ne
l’avait jamais vu ainsi, c’était assez déstabilisant. Sawako finit par se
tourner vers sa famille et s’écria :
- Eh bien ! Qu’est-ce qui t’arrive,
onii-san ? T’as vu un fantôme ? Il t’a coupé le sifflet ?
Hisao
sursauta. Son neveu n’avait pas perdu sa langue de vipère apparemment. Il finit
par lâcher.
- Peut-être bien ! J’ai encore un
peu de mal à croire que tu te trouves devant moi.
Sawako
éclata de rire. Il fonça sur son oncle qu’il considérait comme un grand frère
et lui sauta dans les bras. Hisao recula avant de serrer le garçon dans ses
bras, suivi de près par Eiji et Nao trop heureux aussi de voir de nouveau ce
chaton. Ensuite, Sawako se dégagea en grognant, et prit Emi dans ses bras pour
l’embrasser sur chaque joue.
- Tu ressembles encore à une grosse
baleine, E.-chan.
- Petit chenapan ! Comment tu me
parles !
- Mais c’est un compliment, E.-chan. Où
est Kazu ?
- À la maison avec Ryusei, otou-san,
Hanae et Toshio. Et si tu nous présentais ?
Sawako
sourit à son oncle, amusé. Puis, il lia à nouveau ses doigts à ceux de son
compagnon avant de faire les présentations.
- Je vous présente Shin Soba, mon
amoureux. Shin, voici ma famille. Ils sont un peu idiots, mais bon, tu as
l’habitude des idiots, pas vraie ?
- Sawa ! S’offusqua Hisao, lui
faisant les gros yeux.
- Je vois de quoi tu veux parler, chaton.
La
petite troupe étant venue en deux voitures, Shin laissa Sawako monter dans
celle de son oncle. Il monta dans celle de Nao avec qui il se mit à discuter
sans difficulté. Nao s’exclama :
- J’ai eu un mal fou à le reconnaitre. Il
a beaucoup changé depuis ses sept mois d’absence. C’est incroyable !
- Il avait besoin d’avoir des amis de son
âge et qui pouvaient le comprendre.
Nao
jeta un coup d’œil au français.
- Vous êtes pour quelque chose aussi. Il
est épanoui.
- Mmh ! Disons que nous avons soigné
nos plais ensembles.
- Et bien, c’est une réussite. Cela
faisait bien longtemps que je ne l’avais pas vu aussi souriant et joyeux.
Le
silence se fit à nouveau. Ils arrivèrent à peu près en même temps que l’autre
voiture. Le premier groupe ne les attendit pas pour monter au dernier étage.
Quand Shin fut intégré dans l’appartement des Sanada. Il entendit les cris surexcités
d’Hanae et de Toshio, ainsi que la voix de deux jeunes garçons. Il salua Bunji
Sanada. Celui-ci lui adressa un sourire et le rejoignit.
- Avez-vous fait bon voyage ?
- Oui, merci. Il était très amusant.
- Amusant ? Demanda, surpris le
vieil homme.
- Oui, c’est toujours agréable un chaton
jaloux.
Bunji,
un instant interdit, se mit à rire finalement. Sawako, entendant la phrase,
s’écria tenant dans ses bras le petit Kazuaki qui ne voulait pas le lâcher
depuis son arrivé.
- Je n’étais pas jaloux du tout.
- Si, tu l’étais. Tu grognais chaque fois
que j’adressais la parole à une hôtesse de l’air.
- Ce n’est même pas vrai, râla le garçon de
plus belle, sous le rire moqueur de son cousin. Et toi, si tu dis quelque
chose, je t’étripe.
Toshio
se sauva en riant de plus belle.
- Chaton ? Que fais-tu avec un
asticot ?
- Je ne suis pas un asticot, chuis un
enfant, s’exclama le petit Kazuaki.
- Mouais, c’est bien ce que je dis, un
autre asticot.
- Onii san ? Ton ami ne m’aime pas.
- Bah ! Ne fais pas attention à lui.
Il dit que des bêtises.
Sawako
quitta son compagnon pour rejoindre le salon, tout en discutant avec le petit.
Shin se sentit un peu perdu au milieu de cette famille. Il se demandait
réellement s’il avait eu raison d’accompagner le garçon. Il en était là de ses
pensées, quand la voix de son chaton le fit sursauter.
- Qu’est-ce que tu fiches tout seul dans
ton coin ? Amène-toi, baka !
Shin
attrapa la main tendue de son chaton et le tira vers lui. Sawako lui tomba dans
les bras. Le garçon leva les yeux et croisa un regard rempli d’amour. Il
sourit. Il se dressa légèrement et embrassa les lèvres minces du français avant
de le tirer pour rejoindre les autres dans le salon. Son grand-père lui avait
annoncé qu’il pouvait prendre son temps pour rencontrer sa mère. Il ne voulait
en aucun cas le forcer. Sawako lui en était reconnaissant, mais il se promit de
lui rendre visite d’ici peu, ainsi qu’à une autre personne.