La rencontre : 10
À la mi-juillet de l’année suivante, Sawako vivait dans deux
maisons différentes. Il venait souvent dormir chez le couple Yamamoto. Ceux-ci
ne s’en plaignaient pas le moins du monde. Ils adoraient l’adolescent. Grâce à
leur amour familial, le garçon retrouva facilement une joie de vivre, ne se
gênant plus pour faire des caprices, de râler quand quelques choses n’allaient
pas dans son sens.
Bunji Sanada venait régulièrement les week-ends pour le voir,
mais téléphonait toujours avant pour savoir dans quelle maison, il devait se
rendre. Il était souvent accompagné d’Hanae et de Toshio. Mais malgré la
patience d’Hisao ou celle du docteur, Sawako refusait de sympathiser avec son
jeune cousin ou sa jeune tante. Ceux-ci souffraient de ce rejet surtout qu’ils
savaient bien que le garçon les appréciait. Alors, pour le défier, ils venaient
à chaque rendez-vous. La plupart du temps, Sawako les évitait ou les ignorait,
sinon il faisait aller sa langue de vipère, souvent très acérée d’ailleurs.
Yamamoto raconta sa conversation avec Sawako au sujet de sa
préférence sexuelle avec Hisao. Celui-ci n’en fut pas très étonné, mais en
discuta avec Nao. Celui-ci prit les devants et en discuta avec l’adolescent. Le
garçon fut soulagé d’en parler avec quelqu’un qui pouvait le comprendre. Quand
il eut seize ans, Sawako avoua à Nao avoir un petit ami. Bien sûr, Hisao,
l’apprenant, voulut savoir qui il était. Il fit la grimace quand il le sut.
Il aurait dû deviner que son neveu avec le caractère qu’il avait
ferait sensation avec les loubards du quartier, n’est-ce pas ? Il n’aimait
pas du tout le type que fréquentait Sawako, mais il ne fit rien pour les faire
rompre. Son neveu avait un tempérament assez fort pour se défendre tout seul en
cas de problème. Il leur avait déjà montré plus d’une fois depuis les trois
années passées chez eux. Enfin, Eiji ne se gêna pas pour faire la morale au
garçon en lui expliquant qu’il aurait pu choisir mieux.
La réponse du garçon faillit le choquer. Sawako avoua juste
qu’il n’était pas vraiment amoureux, juste que le type en question baisait
bien. Nao lui explosa de rire devant l’air ahuri de ses deux amis. Emi ne
voulut pas trop s’en mêler. Pour elle, c’était des histoires de mecs. Elle
suggéra juste à son petit frère de bien se couvrir.
- Pfft ! Vous avez fini,
oui ! Je ne suis pas un bébé, je n’ai pas attendu après vous pour savoir
qu’il faut sortir couvert. De vrais baka !
- Sawako ! S’offusqua son
oncle.
Le garçon lui adressa un léger sourire en coin et
reprit :
- Bin quoi ? C’est la
vérité, non ?
Hisao grogna et attrapa son neveu pour un bon shampooing
plein de vigueur. Sawako se débattait dans tous les sens pour échapper au poing
vengeur, en riant à s’en faire mal aux côtes. Hisao devait bien reconnaître que
le garçon, en grandissant, en étant bien nourrir, était devenu bien plus fort
qu’auparavant. Sawako avait une taille plutôt moyenne sur un corps très élancé
pour un homme. Tout le corps était en muscle noueux comme ceux faisant des arts
martiaux depuis des années.
Pour son seizième anniversaire, Bunji avait offert un voyage
à son petit-fils, celui-ci avait voulu visiter la Chine, surtout Shanghai et
Hongkong. Il fit le voyage avec Hisao et Emi. Il s’était amusé comme un fou, et
en revenant, le fripon s’était habillé avec le costume traditionnel chinois, un
pantalon souple et une chemise au col Mao. Avec ses cheveux longs tressés et
cet habit, toute personne l’apercevant de dos l’aurait pris pour un vrai
chinois. D’ailleurs, il adorait regarder de très vieux films avec des acteurs tels
que Bruce Lee ou Jackie Chan.
Un dimanche matin, pendant les vacances d’été, Sawako se
réveilla de très bonnes heures. Il se leva comme chaque jour avec entrain, prit
une douche pour enlever le reste de fatigue et se rendit dans la cuisine où une
bonne nourriture l’attendait. Emi se levait toujours très tôt et savait
toujours d’avance quand son petit affamé allait arriver. D’ailleurs à peine
fut-il installé à table qu’il n’attendit pas pour dévorer tout ce qu’il y avait
dans son assiette. Sawako avait tendance à vouloir prendre son petit déjeuner
version anglais.
Emi n’en revenait jamais de toute la nourriture que ce
chenapan pouvait ingurgiter sans prendre un gramme. Celui-ci, d’ailleurs,
arrêta sa cuillère devant sa bouche et observa la jeune femme face à lui. Emi
se trouvait appuyé contre l’évier et le regardait manger en souriant. Il fronça
les sourcils. Emi se sentit mal à l’aise devant le regard glissant du neveu de
son époux.
- Quelque chose ne va pas, Sawa
kun ?
Le garçon leva ses yeux noisette vers ceux aussi sombres de
la jeune femme. Il haussa les épaules et répliqua :
- E.-chan ? Ne le prends
pas mal, mais tu as pris du poids.
La jeune femme sursauta et le regarda interdit. Elle avait
oublié à quel point il pouvait être perspicace, celui-là. Elle se mit à rougir.
- C’est normal, Sawa kun. Je
suis enceinte.
- Ah ! Je me disais aussi,
lança Sawako, légèrement souriant. Je comprends maintenant pourquoi vous étiez
si bruyant hier.
Emi rougit encore plus. Hisao devrait peut-être se calmer.
La jeune femme se tritura les doigts, les yeux baissés. Elle sursauta quand
elle sentit la présence de l’adolescent face à elle. Elle releva les yeux et
croisa des yeux rieurs. Sawako se pencha et lui donna un baiser sur la joue
avant de s’exclamer, en riant :
- Tu vas ressembler à une
grosse baleine, E.-chan.
- Sawako ! Reviens
ici !
- Nada ! Je vais aller
réveiller la grosse marmotte. Ça lui apprendra à faire trop de bruit quand je
dors.
Le jeune garçon s’échappa en riant et fonça dans la chambre
de son oncle. Il ne se gêna pas pour lui sauter carrément dessus. Hisao se
réveilla en sursaut en maugréant tout les noms d’oiseaux qu’il connaissait.
Riant toujours, Sawako s’agenouilla sur le côté libre et observa Hisao. Il
pencha la tête et s’exclama :
- Alors, Onii-san ?
Qu’est-ce que cela fait d’être un futur papa ?
Hisao soupira et passa une main sur son visage pour se
réveiller. Il jeta un coup d’œil au réveil et lança un regard noir à son neveu
pour l’avoir réveillé si tôt.
- Je n’en suis pas encore
remis.
- Pauvre E.-chan ! Elle va
t’avoir dans les jambes pendant toute sa grossesse. La poisse !
- Eh ! Toi ! Tu insinues
quoi ?
- Que tu peux être très pénible
quand tu t’y mets, Onii-san.
Hisao se redressa pour s’appuyer contre le dossier du lit et
attrapa son neveu qui l’appelait toujours grand frère. Sawako se moula contre
le grand corps comme un petit enfant, tout en gloussant.
- Tu n’es pas obligé de me
réconforter, Onii-san. Je suis très content pour E.-chan et toi.
- Mmmh ! Arigatou, mais je
veux juste que tu sais que tu es toujours dans notre cœur.
Sawako ne dit plus rien pendant un moment, puis il
murmura :
- Tu n’as pas besoin de le
préciser, je le sais déjà.
Il gloussa de nouveau, puis sans prévenir, il souleva le
drap pour regarder. Hisao poussa un cri et rabattit le drap sur lui. Sawako se
releva en riant moqueur.
- Trop délire, le grand Hisao
pudique ! Vraiment trop drôle !
- Sawako ? Tu mériterais
bien une fessée pour te moquer ainsi de ton grand frère.
Le garçon entendit la sonnette et des voix à l’entrée.
Curieux, il se tourna pour s’y rendre. Avant, il ne put s’empêcher de lancer.
- Dommage que je n’avais pas
d’appareil photo.
- Sawako ! s’écria Hisao,
choqué avant de se laisser retomber sur le lit en riant.
L’adolescent se dirigea vers les voix. Elle provenait de la
cuisine, mais ce n’était pas celles de Nao ou Eiji. Sawako s’arrêta à l’entrée
et regarda à l’intérieur. Un homme d’une soixantaine d’années, les cheveux noir
corbeau grisonnant, très mince, se trouvait accompagner d’un autre homme du
même âge, mais très grand, à la musculature des plus impressionnantes. Il
semblait également que deux autres personnes se trouvaient présentes, mais le
garçon ne les voyait pas de là où il se trouvait.
Le vieil homme mince se retourna et l’aperçut. Sawako le
reconnut de suite. Il se sentit alors très intimidé. Être en face du père d’Emi
le rendait toujours nerveux. Tatsuya Oda lui adressa un sourire chaleureux. Il
appréciait ce garçon solide comme le bambou. On pouvait toujours essayer de le
plier jamais il ne se brisait.
- Ohayo, Sawako kun !
- Euh ! Ohayo, Oda-san.
- Sawako kun, combien de fois
devrais-je te demander de m’appeler par mon prénom ?
- Euh ! Sumimasen,
Tatsuya-san.
Sawako pénétra plus avant dans la cuisine. L’homme à la
musculation impressionnante le détailla de la tête aux pieds. Il allait prendre
la parole, mais fut interrompu par un jeune adolescent qui le bouscula en
passant près de lui.
- Luce, tu pourrais t’excuser.
Le garçon en question haussa les épaules, indifférent aux
railleries du grand cousin de son père. Il s’arrêta à quelques centimètres de
Sawako et le détailla de la tête aux pieds, également. Le japonais fronça
légèrement les sourcils, mais ne broncha pas, préférant taire sa langue de
vipère pour une fois. Ce fameux Luce releva ses yeux mordorés vers ceux
noisette et lui adressa un tel sourire que Sawako se sentit en confiance
instantanément.
- Bonjour, je m’appelle Luce
Oda. Et toi ?
Sawako bénit son grand-père de l’avoir forcé à apprendre
plusieurs langues étrangères. Ainsi, il pourrait communiquer facilement avec ce
garçon sans problème. Il devait également avouer avoir un faible pour l’accent
français.
- Sawako Sanada. Tu as un lien
avec E.-chan ?
Luce se gratta la tête. Qui c’était cette E.-chan ?
Tatsuya lui sauva la mise.
- Sa grand-mère est ma cousine.
Cet homme ici présent est mon cousin Daisuke. Quant à la troisième personne
présente, c’est le meilleur ami de Luce, Erwan Miori.
Un grand jeune homme brun apparut dans le champ de vision de
Sawako. Il en fut saisi. Ce garçon dégageait un tel magnétisme qu’il ne passait
pas inaperçu. En tout cas, il avait de très jolis yeux bleus.
- Il en a fait voir des vertes
et des pas mûrs à Daisuke pour pouvoir venir aussi. C’était vraiment trop
drôle.
- Ouais, je vais finir par en
faire de la pâtée pour chien de ce mioche.
Le fameux Erwan jeta un coup d’œil à l’homme musclé, les
yeux pétillants. Il avait une voix grave.
- Pfft ! Ce n’est que de
la parlotte. Tu as bien trop peur de ma mère.
Hisao arriva sur ces entrefaites. Il se présenta aux
nouveaux venus, puis Tatsuya expliqua la raison de leur venue.
- J’ai cru comprendre que tu
désirais rencontrer des personnes ayant le même sang que toi, Sawako kun.
Sawako se raidit et observa alors le garçon face à lui. Ce
garçon souriant était comme lui ? Il attendait depuis longtemps qu’il en restât
bouche bée. Luce prit la parole.
- Nous ne sommes plus nombreux,
malheureusement. Mais, j’ai eu la chance d’en rencontrer quatre autres, deux en
Italie, un en Allemagne et un autre en Angleterre.
Remarquant toujours le silence de son neveu, Hisao ne put
s’empêcher de demander.
- Bah alors, Sawako ? Tu
as donné ta langue au chat.
L’adolescent tourna son regard vers son oncle avec un léger
sourire et répliqua :
- Je me demande comment
réagirait tes clients en apprenant à quel point tu peux être chochotte,
Onii-san. J’aimerais bien voir leur tête.
Hisao ouvrit la bouche, horrifié. Ce petit démon ! Luce
émit un petit rire et agrippa le bras du japonais.
- J’adore ! Papa
t’adorerait Sawako. Viens laissons les vieux entre eux. Fais-moi visiter ta
ville.
Sans demander son reste, Luce tira le bras de l’adolescent
pour le faire avancer. En moins de temps qu’il faut pour le dire, ils se
retrouvèrent hors de l’appartement. Luce prit la main du japonais, très
surpris, et le força à le suivre en courant. Sawako le suivit en silence. Ils
descendirent les étages par les escaliers et quand ils arrivèrent sur le
trottoir. Sawako arrêta le jeune français qui riait comme un fou.
- Pourquoi être parti comme
cela ?
- Regarde !
Sawako se tourna vers l’entrée de l’immeuble et aperçut
l’autre jeune arrivé. Il se tourna vers Luce. Celui-ci avait un sourire ravi et
amusé. Sawako esquissa un sourire à son tour. Il venait de comprendre. Alors,
il fit un clin d’œil au plus jeune et serra la main un peu plus forte. Son
sourire s’agrandit en voyant le regard bleu s’assombrir. Le français avait
compris leur manège.
Sawako fit faire demi-tour à Luce et le tira pour qu’il le
suive au pas de course. Luce le suivit sans hésitation. Il aimait ennuyer son
meilleur ami. Il adorait le faire tourner en bourrique. Le japonais entrepris
de prendre plusieurs ruelles différentes afin de semer leur poursuiveur, très
doué pour les repérer, soit dis en passant.
Les deux garçons finirent par se retrouver dans un parc. Ils
se laissèrent tomber sur un banc, essoufflé. Ils se regardèrent et partirent
dans un fou rire incontrôlable.
- Ça faisait longtemps que je
n’avais pas ri ainsi, s’exclama Luce. Ah ! Trop mortel la tête à Erwan.
- Mmmh ! On dirait bien
que tu es sa propriété.
- Hein ? Ah ! Oui,
c’est vrai, il est très possessif. Cela ne l’empêche pas de courir après les
filles.
- Cela ne t’ennuie pas ?
Je n’aimerais pas ça, moi !
Luce se leva et s’étira. Il pencha la tête et sourit.
- Si, cela m’ennuie. Mais, je
n’ai que quatorze ans et mes papas viellent au grain, alors il faut bien qu’il
se défoule. Tu sais, il a largué la fille avec qui il était juste pour
m’accompagner ici.
Sawako gloussa.
- Tu es manipulateur, Luce. On
va bien s’entendre.
Luce allait répliquer, mais il fut interrompu par deux bras
l’attrapant à bras le corps.
- Aaaaaaaah ! Erwan !
Tu m’as fait peur.
- Toi, le jap, je te retiens.
Me faire courir dans tous les sens.
- Parle correctement à mon ami,
Wan !
- Ami ? Pouvons-nous
vraiment être amis ?
Luce se pencha et donna un coup sur la tête de Sawako qui
grimaça sous la douleur. Erwan lui souriant avec un air sadique et satisfait.
- Évidemment, quelle question
stupide !