Sawako Sanada : 02
Sawako Sanada : 02
Sept heures du matin, le soleil commençait juste déjà son ascension
dans le ciel limpide, quand le corps mince et petit se redressa en sursaut. Des
mains de couleur de miel frottèrent des yeux encore pleins de sommeil. Le jeune
garçon soupira. Sa tante avait encore oublié de le réveiller. Elle n’était pas
méchante à proprement dit, mais la seule chose qui l’intéressait était son
fils, Toshio.
Depuis plus d’un mois maintenant, il vivait chez son oncle
Umi. À l’origine ce ne devait être que pour un temps. Son grand-père étant parti
à l’étranger pour affaire avait ordonné à son fils aîné de s’occuper de Sawako.
Comme il emmenait Chisame, il avait confié sa propre fille à son frère Yasuo.
Umi avait serré les dents sous cet ordre. Sawako le savait. Son
oncle ne l’aimait pas comme la plupart de sa famille. Il ne savait pas pourquoi,
car personne ne le lui disait. Mais, depuis son plus jeune âge, il savait être
une gêne pour les Sanada. Son grand-père n’était toujours pas Revenu de son voyage. Dans un sens,
Sawako en était un peu triste.
Certes, son grand-père lui adressait rarement la parole et
les seules fois, c’était toujours de façon grondante et agacée, mais au moins,
il se sentait en sécurité dans la grande demeure. Ici, il sentait la haine de
son oncle tous les jours.
Le jeune garçon, âgé maintenant de dix ans, se leva de son
lit. Le miroir sur pied lui renvoya son image, celle d’un garçon, plutôt
malingre, à la peau dorée, aux cheveux noirs bleutés quand le soleil les
chatouillait, avec un visage très fin aux pommettes saillantes. Il avait
également des yeux bridés de couleur marron foncé pailletés de vert, un
héritage de son père d’après son grand-oncle Yasuo.
Sa grand-mère Chisame lui avait ordonné de laisser pousser
ces cheveux. Il atteignait maintenant ces épaules. Elle lui avait lancé avec un
sourire que son prénom le prédestinait à les porter long comme une fille. Comme
si on ne le confondait pas déjà avec une fille avec son physique. Il soupira. Hanae
le traitait toujours de femmelette et voulait toujours l’habiller en fille. Il détestait
ça, mais chaque fois qu’il refusait, elle manigançait ensuite pour le faire punir.
Il ne se souvenait plus le nombre de gifles qu’il avait reçues
de sa grand-mère. Il se demandait si son grand-père le savait. Peut-être s’en
fichait-il comme les autres ? Mais, il n’osait pas lui demander s’il le
détestait. Une seule fois, il avait osé lui demander où était sa mère et si un
jour, il pouvait la voir.
C’était la première fois où il avait vu passer une ombre noire
dans les yeux de son grand-père. Bien sûr, Bunji ne lui avait rien dit comme
les autres. Pourquoi ne voulait-il pas lui parler de sa mère ? Parce que
celle-ci le haïssait comme le reste de la famille ? Il ne savait pas et il
en était triste.
Il pouvait voir dans le regard de son oncle, de sa
grand-mère et de bien d’autres, qu’ils attendaient de le voir céder. Ils voulaient
le voir pleurer, crier, les supplier d’arrêter de le détester, mais le garçon s’était
juré qu’il ne satisferait jamais ce désir. Il apprit à faire exactement comme
son grand-père, être impassible à tout bout de champ sans montrer sa peine, sa
colère, sa haine.
Plus jeune, il pleurait souvent sous la satisfaction de
Chisame ou d’Akina. Sa nourrice, il la haïssait. Elle lui avait fait du mal en
douce. Elle s’était amusée parfois à le brûler avec le bout d’une cigarette
dans les reins. Elle voulait le faire crier, le voir pleurer comme une
madeleine. Au début, elle y parvenait, mais ensuite, il serrait les dents pour
ne plus sortir aucun son.
Elle avait fini par être renvoyée avec fracas le jour où
elle avait giflé Hanae. Sawako songeait que si c’était lui qui avait reçu cette
gifle, Akina serait encore en service. Il se secoua. Ce n’était pas le moment
de rêvasser. Il passa dans la salle de bain attenante à sa chambre et descendit
rapidement.
Dans la salle à manger, Toshio mangeait en silence sous le
regard attendri de sa mère. Umi, lui, lisait son journal, buvant un café de
temps en temps. À son arrivée, celui-ci lui jeta un regard froid. Il prit la
parole.
- Tu es en retard ! Pour
te punir, tu ne prendras pas de petit déjeuner. Assis toi et ne bouge que quand
se sera l’heure de partir en cours.
Sawako serra les dents. Son estomac criait famine. Il s’installa
à table. Il baissa son regard. Il serait capable de suivre chaque mouvement de
baguette de Toshio tellement la faim le tenaillait. Les minutes s’égrenèrent
doucement. Finalement, il fut l’heure de partir. Chisa les emmena devant la
porte. Elle se pencha sur son neveu et lui déposa une tranche de pain. Elle lui
adressa un petit sourire triste.
- Je suis désolée, Sawako. Je
ne fais que suivre ces ordres. Je me dois de protéger Toshio de son père. Ne m’en
veut pas trop.
Sans un regard, Sawako serra le pain et se détourna pour
rejoindre son cousin, en silence. Ne pas lui en vouloir ? Pour qui elle se
prenait ? Il voulait bien croire qu’elle protégeait son fils, mais lui
alors ? Qui est-ce qui aller le protéger contre Umi et les
autres ?
Les autres ? Ces camarades de classe ! Qu’avait-il
fait pour se voir détester par tout le monde ? Bon, les professeurs n’étaient
pas gênants. Ils semblaient indifférents pour tout. On se demandait même
pourquoi ils venaient travailler. Ils se fichaient royalement de leurs élèves
et ne cherchaient pas à savoir si certains se faisaient maltraiter.
Pendant les cours, Sawako s’amusa à dessiner sur son cahier
en écoutant que d’une oreille distraite les propos de son professeur, un homme
un peu trop enrobé, puant la transpiration. Bien évidemment, il fut appelé au
tableau afin de résoudre une équation difficile, que l’on apprenait plutôt au
collège qu’en primaire.
Sawako soupira fataliste. Il se mit à résoudre l’équation
sans aucun problème sous le regard abasourdi de son idiot de professeur. Cet homme
était un baka de première, tout comme ces incompétents de camarades de classe. À
la récréation, il s’installa tranquillement sur un banc seul comme toujours. Il
n’avait aucun ami.
Ils préféraient la compagnie de Toshio. Son cousin était un
lamentable élève, mais avait la chance d’avoir beaucoup d’amis. Sawako pouvait
le voir rire, s’amuser et courir partout dans la cour. Il aurait pu être jaloux,
mais Sawako n’en voyait pas l’intérêt et serait une perte de temps. Pourquoi enviait
un garçon pleurnichard, capricieux, toujours fourré dans les jupons de sa mère
et surtout incapable de se débrouiller tout seul ?
À la fin de l’après-midi, Chisa vint chercher son fils. Elle
rendait visite à ses parents et elle emmenait son fils. Elle laissa Sawako
rentrer par ses propres moyens. Le garçon ne s’en offusqua pas, il en avait
pris l’habitude. D’ailleurs, il préférait cela lui évitait d’entendre les
jacasseries de son cousin.
Il rentra dans la maison silencieuse. En venant vivre chez
son oncle, il avait quand même été surpris de voir que son ambitieux oncle
vivait dans une simple maison à deux étages. Comme à l'accoutumée, il grimpa
les marches en courant et s’enferma dans sa chambre.
Il n’aimait pas être seul dans la maison. Au moins, Chisa
servait de garde-fou. Il savait que son oncle rentrerait bientôt et viendrait
le voir. Il le faisait tout le temps. Sawako n’aimait pas, mais ne pouvait
aller nulle part. il se sentait totalement à la merci de son oncle et ça l’horripilait.
Chaque fois, il en ressortait avec des bleus, des douleurs crâniennes
parque Umi lui tirait souvent les cheveux. Umi criait vouloir le briser, le
détruire. Il voulait le voir pleurer et le supplier d’arrêter. La première
fois, Sawako en avait beaucoup pleuré, mais les fois suivantes, il était
parvenu à se retenir jusqu’au départ de son oncle.
Sawako
se jeta sur son lit et se recroquevilla sur lui-même. Il avait peur, très peur,
mais jamais, il ne le montrerait. Jamais ! Il ne les laisserait jamais le
détruire. Un jour, il était sûr qu’il s’en sortirait et il pourrait se venger
de toutes ses humiliations. Sans s’en rendre compte, il s’endormit.
Quelque chose n’allait pas. Il sentait son corps avoir
chaud, pourquoi ? Des sensations étranges lui traversaient le corps, alors
que son esprit lui hurlait à mort et refusait cette intrusion. Il ressentait
également une horrible douleur à un endroit de son anatomie. Que se passait-il ?
Sawako se réveilla en sursaut et ouvrit la bouche pour
laisser échapper un son inaudible. Il était nu comme un ver, les mains attachées
au barreau du lit. Il avait les jambes relevées et son oncle Umi l’assaillait à
coup de reins. Sawako semblait être tout droit dans un cauchemar sans fin. Son corps
agissait comme s’il aimait subir cet assaut, alors que son esprit lui refusait
en bloc.
Des larmes se mirent à couler le long de ses joues. Umi les
vit et un sourire mauvais étira ses lèvres. Il voulait briser ce garçon
détestable et il y parviendrait tout en prenant son pied. Voir le regard du
garçon exprimait tout sa frayeur tout en gardant le silence le fit jouir. Il donna
encore quelques coups de reins avant de se retirer.
Il se redressa et s’assit sur le lit. Sawako ne parvenait
plus à bouger. Il souffrait et n’arrivait pas à arrêter ses larmes. Son oncle
lui détacha les poignets. Sawako ne bougea pas pour autant, tétanisé. Umi se
rhabilla et ramassa un flacon sur la table de chevet. Il se parla à lui-même :
- Bien, on dirait bien que ce
produit est des plus efficaces. Il te rend toute chose, ma petite pute !
Finalement, tu vas pouvoir me servir à quelque chose.
Il sortit de la chambre dans un éclat de rire. Sawako parvint
à se redresser et voulut gagner la salle de bain. Un liquide glissa le long de
ses jambes. Celle-ci ne pouvant supporter son poids le lâcha et le garçon s’écroula
sur la moquette. Il porta les mains à son visage et se mit à sangloter. Il fit
sortir toute sa peine, sa souffrance. Il attrapa un oreiller et enfouit son
visage à l’intérieur et hurla pour vider ses poumons de toute sa colère, sa
haine, sa détresse. Il fit tout sortir d’un coup, ensuite quand il n’y eut plus
de larmes. Il inspira un bon coup.
Sawako, dix ans à peine, violé et meurtrie, se jura que plus
jamais, il ne pleurerait. Il se promit que chaque coup qu’il recevrait, un jour
il parviendrait à les renvoyer à l’expéditeur. Être brisé ? Jamais de la
vie ! On voulait lui reprocher d’être né, il allait leur montrer que sa
vie avait un sens. Il ne pleurerait plus, ne crierait plus. Son oncle, sa
grand-mère, personne n’aura le dernier mot avec lui tant qu’il lui restera un
souffle de vie. Jamais !