Chapitre 10
Les jours suivants furent aussi calmes
que les précédents, mais je savais que ce n’était qu’une accalmie avant la
tempête. Cela me rendait anxieux. Arriverai-je à sortir indemne de cette
aventure ? Balou et Baben s’en rendaient compte et faisaient leur possible
pour me faire changer les idées.
Sink me bassinait en longueur de
journée qu’il fallait que je m’endurcisse. Il fallait que je devienne encore
plus fort. Je ne devais montrer aucune peur, aucune tristesse, aucune haine
envers mon ennemi, car cela serait mon arme. Pour vaincre les Sorcières, les
liges, les portes de Kréos, il ne fallait pas leur montrer la moindre faiblesse
qu’ils pourraient utiliser pour me nuire.
J’avais envie de hurler. Je ne suis
pas Dieu. Je suis un être humain qui a eu la plus mauvaise chance de sa vie en
naissant avec des pouvoirs maudits. Sink s’énervait souvent quand je m’apitoyais
sur moi-même. Il hurlait presque de rage dans ma tête en m’en faire mal. Il le
faisait exprès. J’en étais sûr. Pas qu’il prenait plaisir à me faire souffrir,
mais c’était plus efficace qu’une paire de taloches.
Ensuite pour me punir, le Lyandrin
recommençait avec ses histoires de continent. Il me parla pendant toute la
journée du Grand Désert d’où j’étais né. J’appris tout de même que ma mère, la
Reine Mirnia avait dû beaucoup souffrir d’ordonner l’exécution de son propre
fils. Elle n’avait pas eu le choix sinon les Hommes se seraient rebellés et une
guerre civile aurait eu lieu. Même pour le fils d’une Reine ou d’un Roi, il n’y
avait pas de favoritisme.
Mais comme me confirma Sink, ma mère
avait tout de même fait en sorte que j’en sorte vivante avec mon père. Le grand
désert possédait dans son sable le plus grand démon jamais connu et le plus
vieux. Il ressemblait à un immense Cobra aux écailles bleutées et argentées. Ce
Serpent n’obéissait qu’aux ordres de la Reine. Quand nous nous sommes enfuis
dans ce désert, nous n’avions rencontré pas âmes qui vivent. Si ma mère avait
réellement voulu m’achever comme la coutume le voulait, elle aurait dû siffler
le Cobra des sables.
Dans un sens, apprendre que ma mère
m’aimait assez pour me laisser vivre apaisait tout de même mon cœur. J’aurais
aimé beaucoup voir à quoi, elle ressemblait. D’après Sink, nous ne ferions que
nous disputais. Je ne voyais pas pourquoi, mais il m’affirma qu’au niveau
caractère têtu, bourrique, qui n’en fait qu’à sa tête et qui n’aime pas qu’on
lui dise non, nous étions tout à fait semblables.
Cela me fit sourire. J’étais plutôt
ravie de savoir que j’avais au moins quelque chose de ma mère, même si ce
n’était pas vraiment des compliments de la part de Sink. En gros, il m’avait
sorti tous mes défauts.
Je lui demandais comment il pouvait
en savoir autant sur le Grand Désert et sur la Reine. Il m’avoua que les
Lyandrins aux yeux rouges n’étaient pas considérés comme des monstres aux yeux
des Hommes du désert. Il m’annonça aussi avoir eu la chance d’avoir entre aperçus
la Reine avec une de ses filles aînées. Cela me fit un choc. Je n’avais jamais
songé que j’avais aussi des frères et sœurs du côté de ma mère. Mais c’était
tout à fait logique. Sink expliqua que la Reine avait cinq filles et deux
garçons dont j’étais compris. La fille aînée serait la future Reine quand ma
mère lui céderait la place. Sink lança moqueusement « Si elle l’a lui
laisse. Ta mère est plutôt du genre à rester sur le Trône jusqu’à sa dernière
heure. »
Quand je restais trop longtemps
silencieux, Balou me tirait l’oreille pour me rappeler à l’ordre de ne pas les
oublier. Cela faisait rire Sink qui se moquait joyeusement de la jalousie de
Balou.
La tempête finit par tomber sans prévenir.
Cela faisait longtemps que je n’avais plus eu mal au crâne. J’avais espéré ne
plus en avoir, mais c’était trop espéré, je suppose. Le mal arriva alors que
nous traversions une nouvelle forêt plus touffue et dont le chemin ne se voyait
plus trop. D’après Baben, cette forêt avait tellement mauvaise réputation, que
les voyageurs préféraient faire un détour. Bien sûr, ils avaient omis de me le
dire.
En tout cas, la douleur fut-elle que
mes compagnons préférèrent s’arrêter près d’un ruisseau pour me permettre de me
reposer. Comment voulez-vous vous reposer avec un horrible mal de tête ?
Baben me fit une tisane d’herbes médicinales apaisante, mais celle-ci ne fit
que l’empirer. Ils essayèrent également le massage des tempes. Ils arrivèrent
ainsi à me faire dormir.
Mais quand la nuit tomba, j’entendis
un chant, un chant mélodieux. Je me réveillais. En regardant autour de moi, je
vis mes compagnons complètement assoupis. Étrange ! Habituellement, l’un
d’eux faisait toujours le gué. En jetant, un coup d’œil, vers la forme chocolat
pas très loin de moi, je me rendis compte que même Sink semblait dormir à poing
fermé. Que se passait-il ? Mon mal de tête était toujours présent, mais se
faisait en sourdine comme un tambour lointain.
Une porte se trouvait ouverte. En
observant le ciel, même si avec les arbres touffus, il était plutôt difficile
d’y voir, j’avais quand même pu apercevoir la lune pleine. Je me levais les
jambes tremblantes. J’avais un mauvais pressentiment. Le chant continuait
inlassablement. C’était un son mélodieux, doux et chatoyant, mais mauvais. Mon
corps se mit à trembler. Mes amis se trouvaient en danger. Si les voyageurs ne
voulaient plus passer par cette forêt, c’était à cause de ce son.
Mon père me racontait souvent des
histoires, des contes pour m’aider à dormir le soir, ou quand il faisait trop
froid pour mettre son nez dehors. Les histoires qu’il me racontait parlaient de
différentes légendes. Mais, en y réfléchissant maintenant, je me rendais compte
que ces légendes parlaient souvent de démons que les habitants de Miridia ne
croyaient pas l’existence.
Comme ils avaient été innocents et puérils.
Les démons pouvaient prendre n’importe quelle apparence comme celle d’un homme
comme le Roi Odrien. Dans une de ces légendes, on faisait allusion à des
créatures au chant envoûtant qui amenait les âmes perdues dans la gueule du
monstre. Il y en avait de différentes formes, l’une d’entre elles se trouvait
dans l’océan et pouvaient par son chant noyer tous les membres d’un navire ou
faire fracasser ce navire contre les récifs.
Ensuite, il y avait les Érinyes, les
plus belles créatures qui pouvaient exister. C’était des femmes d’une très
grande beauté. Habituellement, elles ne représentaient aucun danger, mais si
une envie soudaine leur prenait de vouloir enfanter alors l’homme qu’elles
choisissaient n’en ressortait pas vivant.
Mais je ne pensais pas que c’était
ce genre de créature qui chantait. Je ne savais pas pourquoi j’en étais sûr,
mais mon instinct me l’affirmait. Je dirigeais mes pas vers Sink afin de le
secouer pour le réveiller. La peur commençait sérieusement à m’atteindre dans
tout le corps. Je pouvais entendre les pas s’approcher d’une démarche saccadée
et trainante. Ils étaient plusieurs. Beaucoup trop pour moi seul !
Je
finissais par hurler le nom de Sink qui semblait beaucoup plus efficace.
Le Lyandrin se secoua comme drogué
et engourdi. Il ne me parla pas, mais se mit à grogner. Je me tournais vers
Balou et Baben. Je n’aurais pas le temps de me rendre auprès d’eux pour les
réveiller. Que devais-je faire ?
« -
Calme-toi Kadaj ! Tu dois garder ton sang-froid face à ces créatures. Réveille
tes amis rapidement. »
J’inspirais et j’expirais un bon
coup en fermant les yeux un instant. C’est à ce moment-là que je les vis. Ces
créatures ressemblaient à des humains en lambeaux. Je jetais un coup d’œil vers
Sink. Celui-ci avait presque le poil hérissé.
Ces monstres humains tendaient leurs
bras vers nous tout en marchant d’une démarche tremblotante. La mélodie s’était
tue, mais je pouvais entendre un rire hystérique juste au-dessus des arbres. Je
ne pouvais pas le situer, mais pour le moment j’avais vraiment autre chose à
faire. Ces monstres se rapprochaient de Balou et de Baben. Hors de question que
mes amis servent de repas.
Je me concentrais sur un point.
J’imaginais toujours une petite flamme que je nourrissais de toutes mes pensées
positives et négatives afin de ne laisser que le néant. Enfin, le vide se fit
en moi et je pus observer ce qui m’entourait sans aucune émotion. Je fixais
mon regard vers mes deux compères. Il fallait les réveiller au plus vite. Je
suis sûr que Balou m’en reparlera pendant des jours, mais bon, agissons avec le
plus grand moyen connu.
J’attisais les flammes du feu de camp
et pris possession de deux flammèches. Celles-ci se transformèrent en petites
flèches enflammées et foncèrent directement sur les fesses de Balou et de Baben.
Si j’avais été dans mon état normal, malgré le danger, j’aurais surement ri du
hurlement et du sursaut des deux hommes, mais pour le moment, j’étais plutôt
occupé à faire grandir le feu afin de garder les monstres à distance.
Près de moi, je vis une ombre. Une
de ces créatures venait de s’approcher sans que je l’aperçoive. J’avais sauvé
mes amis, mais maintenant, c’était moi en danger. La créature agrippa mon bras
et j’entendis distinctement le bruit que fit sa mâchoire en s’ouvrant, mais en
même temps, je percevais un grognement de colère. La créature se fit éjecter
par un immense corps massif qui se complut à le déchiqueter.
Le Lyandrin se redressa et s’en me
jetais un regard, il reprit le combat. Balou et Baben enfin, bien réveillés, se
mettaient à leur tour dans le combat. Dès que je relâchais mon pouvoir sur le
feu, l’épée du faucon apparut entre mes mains. Je trouvais que l’arme était
bien trop encombrante pour moi. Je n’avais pas vraiment la carrure de Lan ou
celle de Sink ou de Baben. Je jetais un coup d’œil à Balou qui se trouvait dans
le même cas que moi.
Il se battait avec efficacité avec
un cimeterre, une étrange arme dont la lame se trouvait un peu courbée.
J’observais un instant mon épée en fronçant les sourcils, tout en évitant un
autre de ces monstres. Ils étaient énervants. Ne voyaient-ils pas que j’étais
occupé ? Mon arme m’intriguait et ces stupides créatures venaient
m’ennuyer.
Je
me passais une main dans mes cheveux. Je ne faisais plus cas de ce qui se
passait autour de moi.
La seule chose que je faisais,
c’était les cent pas en réfléchissant en fixant mon arme avec colère. J’étais sûr
que je pouvais faire quelques choses.
«-
Kadaj ! Vas-tu nous aider ? Ou cela te demande trop d’effort ?
s’exclama tout à coup dans ma tête la voix grave de Sink qui me fit
sursauter. »
« -
Mais, euh ! Tu me fais perdre le fil de mes pensées, Sink. »
« -
Tu sais où tu peux les mettre tes pensées ? Baka ! »
Je souris tout en grimaçant en
entendant un son de gargouillis près de ma jambe. Je baissais la tête. Je
pouvais voir un des monstres dont il manquait la moitié du corps, se traînait
vers moi en claquant la mâchoire. J’eus un reniflement de dégout. Je balançais
mon pied vers sa tête. Celle-ci se détacha et vola à travers le camp. Elle assomma
nette le monstre qui s’apprêtait à attraper Balou par l’arrière. Celui-ci me
fit un signe de remerciement. Comme si je l’avais fait exprès ?
Je repris mon expertise de mon arme
après avoir donné un coup violent à un autre monstre qui voulait me mordre. Il
me chauffait sérieusement ceux-là ! Bingo ! J’avais trouvé. Le rire
hystérique se tut tout à coup. Cela me perturba à nouveau.
Je relevais la tête et je me
retrouvai devant une créature cauchemardesque. C’était le corps d’une fillette
d’une douzaine d’années dont la peau carbonisée faisait ressortir ces yeux d’un
blanc translucide. Elle se trouvait recroquevillé sur elle-même prête à bondir.
Elle tenait une dague jaunâtre dans chaque main.
Elle me fixa un long moment en
silence, puis après un sourire démoniaque, elle sauta dans ma direction, les
dagues en avant. Elle était d’une rapidité impressionnante, je dois dire. Je ne
me reculai pas assez vite et je me retrouvai les fesses sur le sol. Je grimaçai
de douleur tout en coinçant ces deux dagues avec les miennes. Eh oui ! La
particularité des épées forgeait par les Sorciers, étaient qu’ils pouvaient
prendre la forme que leur propriétaire préférait, surtout si celui-ci était un
sorcier. Je me retrouvais dans la main droite avec une courte épée d’un blanc
pur et une dague composée d’une lame bleutée entourée de deux plus petite
presque transparente.
La créature s’éjecta en arrière de rage
et revint aussitôt à la charge. Je réagis cette fois plus vite et je tournais
sur un des côtés pour pouvoir me redresser rapidement avant qu’elle ne puisse
agir à nouveau. Avoir ces deux lames me facilitait plus facilement la tâche.
Tout en me défendant contre les assauts de ce monstre, je pouvais me concentrer
à nouveau et utilisais correctement mes pouvoirs. Petit à petit, je me sentis
plus à l’aise, plus léger aussi. Mes gestes se trouvaient plus fluides. Je
m’aperçus également que la dague de ma gauche s’entourait d’électricité.
C’était fascinant et effrayant à la fois. La créature hurlait à chaque fois que
cette dague arrêtait une des siennes. Ces créatures craignaient l’énergie
électrique. Voilà quelque chose d’intéressant !
Mes compagnons s’essoufflaient et le
jour semblait ne pas vouloir arriver. Serais-je capable de créer des
éclairs ? J’évitais une nouvelle attaque et je me concentrais à nouveau.
J’utilisais toute l’énergie qui me restait. Peu de temps ensuite, un grondement
se fit entendre et des lumières s’illuminèrent à travers tout le camp dans des
bruits assourdissants. Je pouvais entendre, les créatures hurlaient. Ma plus
grande erreur fut d’avoir utilisé toutes mes réserves. Ma vue commençait à
faiblir. Le monstre s’en rendit compte et me fonça dessus. Je ne pus réagir
assez vite. Avant de perdre connaissance, j’entendis un grognement et un cri
d’agonie.