Requiem Pfefferberg : 10
La gueule abyssale
et l’inconnu.
Tout s’était passé tellement vite. Le maraudeur
l’avait saisi par l’arrière et il l’avait ensuite entraîné de force au plus
profond de la forêt. Clendory avait peur, vraiment peur. Son cœur battait la
chamade.
Elle se débattit comme une forcenée. L’homme
avait bien du mal à la retenir. Cette chienne était une vraie furie. Il cria de
douleur en recevant un coup de pied dans le tibia. Il relâcha sa prise.
Clendory ne perdit pas de temps, elle
se mit à courir comme une détraquée. Elle était complètement perdue dans cette
immense forêt. Mellrune avait très mauvaise réputation. Tous les gardes
forestiers l’affirmaient et le criaient à tous les toits. Quiconque entre dans
cette forêt, n’était jamais certain de ressortir un jour.
La jeune fille entendait ses
poursuivants derrière elle. Ils s’amusaient à ses dépens, essayez de l’effrayer,
de la faire paniquer afin qu’elle commette une bêtise. Mais elle ne céderait
pas. Jamais ! Elle accéléra le mouvement, trébucha plus d’une fois. Pas
facile de courir avec une végétation aussi fournie ! Elle espérait surtout
de ne pas faire du surplace.
Elle leva les yeux vers les cieux, mais
elle ne pouvait rien voir à cause de ces arbres bien trop grands et trop touffus.
Elle ne pouvait pas voir le soleil où il se trouvait. Elle essayait
désespérément à ne pas penser à son frère et à sa sœur. Elle espérait juste qu’ils
allaient bien, mais elle était sûre d’une chose. Davey, ce grand jeune homme
dégingandé veillerait sur Ménérys. Elle n’était pas assez stupide pour ne pas l’avoir
remarqué.
Elle secoua la tête pour la vider de
pensées parasites. Elle devait s’occuper d’elle d’abord. Elle osa jeter un coup
d’œil derrière elle. Elle ne voyait pas grand-chose à part des arbres de
différents noms, de tailles, de corpulences, des fougères, des taillis. Pourtant,
les maraudeurs étaient toujours présents. Son instinct le lui disait, même si
aucun bruit ne retentissait dans la forêt sauf ses propres pas.
D’ailleurs, c’était très étrange, ce
silence. Même, les oiseaux se taisaient. Pourquoi ? Elle entendit, tout à
coup, un cri sur sa gauche. Elle sursauta effrayée. Ce cri ressemblait plus à
un hurlement d’agonie. Que se passait-il ? Son regard se porta dans cette
direction. Elle vit juste une ombre, puis un léger bruissement dans les
fougères.
La peur revint en force, très
différente de celle d’avant. Combattre des hommes, d’accord, mais des animaux
sauvages, en plus, sur leur propre territoire, c’était une autre histoire. Un
autre cri retentit à ses oreilles. La panique commençait à la gagner.
Son souffle lui faisait mal. Ses jambes
devenaient beaucoup trop lourdes. Non, elle ne devait pas céder à la peur. La
peur tuait l’esprit et la volonté. Elle n’en pouvait plus. Elle trébucha sur
une racine et elle s’étala de tout son long. Elle poussa un petit gémissement de
douleur. Elle s’était cogné le genou. Ses yeux la piquèrent.
Ce n’était pas le moment de pleurer. Elle
serra les dents et se releva avec difficulté. Un feulement s’entendit juste
derrière elle. La jeune fille se retourna et se retrouva devant un animal qu’elle
n’avait jamais vu auparavant, juste entendu parlé.
L’animal avait un corps semblable à
ceux des grands félins, presque disparus de Soleda, mais dont la gueule, plus avancée,
comme ceux d’un chien comporter également une mâchoire énorme dont les trois
grosses canines se voyaient.
Clendory ouvrit la bouche pour crier,
mais aucun son n’en sortit. Elle allait mourir. L’animal s’élança sans attendre
sur sa nouvelle proie. La jeune fille s’éjecta sur le côté en hurlant en recevant
un coup sur son bras. Elle retomba lourdement sur le sol glissant. Elle se
trouvait sur une pente. Son bras gauche saignait d’une blessure béante. Les larmes
inondaient ses joues. Elle ne voulait pas finir dans l’estomac de ce monstre.
Un nouveau grognement se fit entendre,
la faisant réagir. Elle se releva en grimaçant et se mit à dégringoler plutôt
que courir sur la pente. Elle se cognait souvent contre les troncs. Elle hurlait
sous la douleur. Mais, bientôt sa vue se brouilla et elle perdit connaissance. Son
corps chavira et glissa tout le long de la pente jusqu’à la fin de celle-ci, c’est-à-dire,
dans l’immense gueule abyssale.
Un mal de tête lui vrillait le crâne. Clendory
ouvrit les yeux doucement. Elle avait mal dans tout le corps comme si elle
avait passé dans un compresseur. Où se trouvait-elle ? Elle était allongée
sur un lit en paillasse, recouverte d’une peau très douce.
Elle jeta un regard sur elle. Ses
habits étaient en lambeau. Son bras gauche était intact. Comment cela se
pouvait-il ? Était-elle morte, alors ? Cette pensée la troubla. Elle
regarda autour d’elle. Elle ne voyait pas grand-chose, car la seule lumière
venait du feu où mijotait de la bonne nourriture. L’odeur donnait l’eau à la
bouche d’une affamée.
La jeune fille frissonna et remonta ses
jambes contre elle. Le feu faisait danser les ombres sur la paroi de rocher. Elle
devait se trouver dans une grotte, mais, où ? Et qui l’avait soigné ?
Un mouvement dans le coin le plus
sombre de la grotte attira son attention. La silhouette d’un homme apparut dans
son champ de vision. Il boitait légèrement de son côté droit. Quand il arriva à
la clarté du feu. Elle remarqua sa jeunesse. Il devait avoir l’âge de Davey à peu
près. Il était de taille moyenne, plutôt maigre et la peau aussi pâle que celle
d’un mort. Clendory en frissonna à cette pensée.
Il était habillé d’un pantalon et d’une
veste de cuir marron. Elle leva les yeux vers le visage de cet homme et son cœur
s’arrêta juste un instant. Le jeune homme avait dû être beau, mais maintenant
toute sa face droite était défigurée. Il portait les cheveux longs, attaché en
queue de cheval, d’un blanc immaculé comme la neige.
Il s’approcha un peu plus pour s’arrêter
juste devant le lit. À cet instant, elle remarqua les yeux de cet homme, des
yeux translucides, des yeux vides de toute expression, des yeux morts. Il baissa
la tête comme pour la regarder. Clendory se recroquevilla sur elle-même.
-
Avez-vous mal quelque part ? Demanda le jeune homme, d’une voix grave et
chantante.
La jeune fille en fut un peu surprise. Cet
homme avait une jolie voix.
-
Euh ! Non, ça va. La douleur est supportable. Merci. Est-ce que vous êtes
un guérisseur ?
L’homme sourit. Mince, il avait aussi
un très joli sourire. Clendory rougit.
-
Je suppose que j’en suis un. Vous avez eu de la chance, jeune fille.
-
Pourquoi dites-vous cela ? Pour avoir réussi à survivre après l’attaque d’un
de ces étranges félins ?
-
Ha ! Vous en avez rencontré un ? Alors, vous avez beaucoup de chance
d’être béni par la nature. Elle vous a sauvé. Elle a amorti votre chute.
-
Chute ? Quelle Chute ?
-
Vous être tombé dans ce que l’on appelle la gueule abyssale. C’est la mort
assurée pour tout ce qui y tombe. Donc, vous êtes béni par la nature. Elle est
la seule à décider qui vivra.
Clendory n’en revenait pas. De quoi
parlait-il ? Mon dieu, où était-elle tombée ?
-
Comment dois-je faire pour regagner la surface ?
Le jeune homme ne répondit pas. Il se
détourna et se rendit près du feu. Comment faisait-il ? N’était-il pas
aveugle ? Comme s’il avait lu dans ses pensées, il avoua :
-
Je suis bel et bien aveugle. Mais, mes autres sens se sont bien éveillés, alors
je peux bouger comme si je voyais. C’est étrange, n’est-ce pas ?
-
Euh ! Non, au contraire. Au moins, vous ne devez rien à personne.
Le jeune homme se retourna pour
adresser un nouveau sourire. Clendory se sentit mal à l’aise.
-
Avez-vous faim ?
Sans attendre de réponse, il lui servit
une assiette et la lui tendit. Clendory se régala. La viande était très
sauvage, mais délicieuse, bien qu’elle préfère ne pas lui demander de quel
animal c’était.
-
Je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Mathias Shang.
-
Clendory Isoko. Euh… Comment en êtes-vous venu à habiter dans cette grotte ?
Le jeune homme éclata de rire. Elle en
fut éberluée.
-
Pardon ! S’excusa-t-il. Ce n’est pas une grotte, c’est plutôt une caverne
et même plus. Ces cavernes traversent tout le continent. Il y a d’innombrables passages,
de galeries, pour se rendre n’importe où, dans n’importe quel pays. Je ne suis
pas seul, vous savez. Il y a tout un peuple qui vit dans ces cavernes. Ils m’ont
recueilli, ma sœur et moi après le drame.
Mathias porta une main sur son visage,
triste. Clendory se mordit la lèvre. Sa curiosité était un vilain défaut. Elle
voulait en savoir plus, mais n’osait pas. Elle ne voulait pas vexer le garçon.
-
Mathias ? Où dois-je aller pour sortir d’ici ?
Le jeune homme soupira.
-
Il faudra traverser plusieurs galeries dont certaines sont très dangereuses. Il
n’y a pas que des humains qui habitent dans ses grottes, il y a aussi plein de
monstres, des serpents, des lézards. Certains ne sont pas de petites tailles et
beaucoup sont carnivores malheureusement.
Clendory sentit des larmes couler le
long de ses joues.
-
Mais, je dois retrouver mon frère et ma sœur. Je dois leur signaler que je suis
ici.
-
Il est déjà trop tard, Clendory, fini par dire le jeune homme. Ils doivent être
loin maintenant. Ils doivent croire à votre mort. Je suis désolé, mais vous
avez été inconsciente pendant deux jours.
Clendory ne put se retenir plus
longtemps. Elle éclata en sanglots.
-
Suis-je condamnée à vivre dans ces cavernes ?
Elle sentit une main caresser ses
cheveux blonds. Elle leva les yeux et croisa les yeux morts.
-
Non, ne vous inquiétez pas, Clendory. Je vous emmènerais vers une sortie, mais
vous devrez accepter mon rythme. Je ne peux aller vite, non pas à cause de mon handicap,
mais je ne peux pas laisser ma sœur en arrière.
-
Je comprends. Vous êtes très dévoué envers elle.
-
J’ai réussi à la sauver des flammes de notre maison, mais je n’ai pas pu sauver
mon deuxième frère. Depuis, nous vivons ici. Je ne sais pas si mon père est
toujours vivant. Et surtout, je ne sais pas où est ma belle-mère, la
responsable de ce désastre. La seule chose dont je sais, c’est qu’elle s’est enfuie
en emmenant mon plus jeune frère.
-
Je suis désolée.
-
Vous n’avez pas besoin d’être désolée. La seule chose dont je vous demande, c’est
d’être patiente.
La jeune fille parvint à esquisser un
léger sourire, un peu triste toutefois.
-
Je vais essayer. Ce n’est pas vraiment dans ma nature, mais je promets de faire
des efforts.
-
Vous m’en voyez ravi.